Mise en abîme
Je voulais avant tout que ce soit un film sur la lenteur. Sur le mouvement oui, mais à l’échelle des siècles. Sur la distorsion du temps. Pour contrecarrer notre aujourd’hui.
Mise en abîme. Il n’y a pas de faute d’orthographe dans le titre. Il résume mon propos. D’abyme, il est question. D’abîmes aussi. Pour illustrer le thème du mouvement, d’emblée m’est venue l’idée de montrer l’édification puis l’effondrement d’une ville. De A à Z. Du processus de sa construction aux affres de sa disparition. Son émergence et sa plongée. J’ai d’abord pensé à Valparaiso. Puis Venise s’est imposée.
De mouvement, il n’est quasiment question que de ça dans ce petit film. De bas en haut et vice versa. Dans l’espace comme dans le temps. Venise qui s’enlise au rythme de quatre centimètres par siècle, Venise victime du phénomène rémanent de l’aqua alta mais aussi Venise dont les sédiments picturaux et littéraires nous construisent et celle qui pollénise nos souvenirs.
Pour raconter une histoire, pour embarquer le spectateur, j’ai choisi de filmer alternativement l’extérieur et l’intérieur, la façade dans son ensemble et un détail de l’intérieur. Le tableau de Monet est donc une mise en abyme de la Ca Dario, qui est elle-même une mise en abyme du lent engloutissement de la ville dans les abîmes de la lagune.
Pour ce faire, j’ai songé au dispositif suivant. Deux aquariums imbriqués l’un dans l’autre. Filmés frontalement. Pour mieux matérialiser la lente montée des eaux. Jusqu’à plus soif. Le calice jusqu’à la lie. Jusqu’à l’hallali. Jusqu’au débordement qui verra la palette de Monet se diluer dans une fin supposée aussi spectaculaire qu’ironique.
Sur la bande-son, on entend successivement le silence, puis l’eau qui monte, puis simultanément les Vexations de Satie et l’eau qui continue à monter, puis le silence encore et, enfin, un rire ironique et sardonique qui viendra le déchirer, en écho à celui du Mort à Venise de Luchino Visconti. En parallèle, en surimpression pour ainsi dire sont égrenés, comme un clin d’œil à la chanson de Pierre Barouh intitulée Pollen, les noms de tous ceux qui auront participé à la légende maléfique de la Ca Dario.
Le mouvement, oui. Mais, lent et tous azimuts!
Yin-yu Wang – ENSA Paris Malaquais